dimanche 4 août 2013

Saint-Pol-Roux & André Antoine : l'amitié de deux citoyens de Camaret (III)

SAINT-POL-ROUX & ANTOINE, SCÉNOGRAPHES DE CAMARET

Néanmoins, Antoine et Saint-Pol-Roux collaboreront ensemble à d’autres projets scénographiques, non plus parisiens, mais camarétois. Nous en retiendrons deux, que la correspondance permet d’éclairer, et particulièrement symboliques des relations des deux hommes avec leur port d’adoption. Le premier concerne la réalisation de cette belle légende que tous les habitants de Camaret connaissent, celle de Saint-Pol-Roux incarnant, le 25 décembre 1909, le Père Noël, sous les traits duquel il vint offrir des jouets aux enfants. La veille, ces derniers avaient pu lire ce célestogramme, signé par l’illustre bonhomme :
Mes chers enfants, apprenant votre souhait de ma venue en vos écoles le jour qui porte mon nom, je souscris avec joie à ce vœu gracieux. Donc, prière à vous tous, filles et garçons, de m’espérer sur le quai – chacun une branche de pin, de houx, de laurier, de tamaris ou de genêt à la main – vers trois heures un quart de l’après-midi, ce présent samedi vingt-cinq décembre de l’an mil neuf cent neuf : chiffre de mon âge. Ma hotte merveilleuse sur l’échine, j’arriverai par mer, par terre ou par ciel. Gloire aux enfants de Camaret !
Le poète ne pouvait ignorer le désir des petits Camarétois puisqu’il avait été nommé deux ans auparavant délégué de l’Enseignement primaire pour le canton de Crozon et qu’il prenait ce rôle très à cœur. Pour sa noble imposture, Saint-Pol-Roux bénéficia de l’aide logistique de son ami Antoine à qui il avait écrit le 14 décembre :
Mon cher Ami, […] j’ai formé le puéril projet, à l’occasion de la Noël, d’offrir agrès de gymnastique et jouets aux enfants des Écoles de Camaret et de les leur distribuer "sous les apparences" du Père Noël arrivant sur une barque – avec poëmes à l’appui, etc… Faut bien amuser les gosses, surtout quand on a assumé la naïve et charmante fonction d’être leur officiel délégué. Père, tu me comprendras. Donc il me faudrait un costume de Père Noël (soit un long bonnet à poils ou bien une tiare de grand-prêtre, et une robe de bure ou une simarre d’astrologue azur, selon que tu décideras un Père Noël réaliste ou de légende). Plus une perruque blanche, sans front autant que possible (pour éviter trop de maquillage en plein jour sur le quai), et une très longue barbe blanche de burgrave. Or je compte sur ta bienveillance pour mettre à ma disposition ce costume et ces postiches que je te renverrais en colis postal, dès la cérémonie finie. Je ne trouverai jamais ça à Brest. Bien entendu, je paierai les frais de location que tu fixeras. Si tu peux, envoie le tout en colis postal […] et ce le plus tôt possible. Sinon veuille me télégraphier : impossible. Car je ne voudrais pas décevoir les enfants. Tout cela, entre nous, confidentiellement, comme il sied entre gensss de théâtre !..
Bien entendu, Antoine ne manqua pas de fournir le costume et les postiches et Saint-Pol-Roux fut un merveilleux Père Noël dont le souvenir resta longtemps gravé dans le cœur de Camaret. C’était un geste de poète et d’homme de théâtre, comme on l’a lu, mais d’un dramaturge qui considère son art comme en prise directe sur la vie et sur son public, muant celui-ci en participant actif. Cette initiative contribua très-certainement à l’intégration de "Monsieur Saint-Pol" dans la population camarétoise, et deux ans et demi plus tard, il fut sollicité pour organiser la fête des Régates, dont il fit une somptueuse commémoration de la Victoire du 18 juin 1694 contre les Anglais. Là encore, avec l’aide d’Antoine, qui insista pour rester dans l’ombre et à l’écart, allant jusqu’à reprocher à son ami, le 26 juillet 1912, d’avoir éventé son concours :
Tu sais déjà mon ferme propos de ne me mêler jamais des affaires du village. Je ne suis pas comme toi citoyen d’ici, et je reste un étranger. Je pense que pour nous autres, visiteurs d’été, ne jamais intervenir dans leurs affaires, est la meilleure façon de vivre en paix. Cela m’a fort bien réussi jusqu’à présent, et je désire continuer tout en leur rendant, chemin faisant, et sans qu’ils le sachent trop, tous les petits services que je puis.
A quoi, Saint-Pol-Roux répondit le lendemain :
L’excessive ardeur des Camarétois te semblera toute naturelle chez de braves gens, peu gâtés par les dieux, et que la moindre surprise heureuse enthousiasme au-delà du possible.
A ton sujet je n’ai parlé qu’avec la prudence recommandée, crois le bien, sans toutefois dissimuler ma gratitude.
J’ai simplement et textuellement dit à trois membres du Comité que, ne pouvant rien retirer de l’Odéon, puisque théâtre de l’État, tu tâcherais de nous procurer généreusement des costumes chez un costumier de Paris ou d’ailleurs.
Aussitôt cris de reconnaissance envers toi, bavardages, etc..
Je conçois tes scrupules de réserve et de tranquillité, mais rien n’ira contre. […]
Grâce à ton excellent cœur, la légère nuance historique de la Tour Dorée attirera plus de monde à Camaret : n’est-ce pas un point très important pour la fête et aussi pour le bénéfice local. Deux raisons qui t’expliquent davantage encore, de la part de tous, une reconnaissance logique et, tu le devines, respectueuse. Habitués aux déboires et parfois aux misères, les marins sont très sensibles à tous plaisirs offerts, et si gracieusement.
Avec l’aide d’Henri-Gabriel Ibels, le costumier d’Antoine à l’Odéon, Saint-Pol-Roux obtint les costumes nécessaires et la fête, malgré la pluie, fut une réussite, dont parla même la presse parisienne, Le Figaro et le Journal des débats politiques et littéraires, entre autres. En voici un extrait, tiré de ce dernier :
Le poète Saint-Pol Roux, qui passe tous ses étés à Camaret, a décidé d'illustrer les régates camarétoises, dont il a été nommé président, et qui ont lieu aujourd'hui dimanche, en commémorant cet important événement historique.
Il a imaginé, pour réaliser son idée, un éblouissant programme de fêtes, qui n'a pas manqué d'obtenir un très grand succès.
Cette "Victoire de Camaret" était personnifiée par une belle jeune fille camarétoise, Mlle Lisette Duédal, âgée de dix-neuf ans.
Portant les armes de France, elle était entourée par deux compagnes d'honneur portant l'une les couleurs d'Angleterre, l'autre les couleurs de Hollande.
Le fond décoratif sur lequel évoluait cette gracieuse trinité était constitué par des régates fleuries dans le port, celles-ci faisant face au corso fleuri du quai.
Ce qui donnait à cette fête sa véritable signification, c'est qu'elle avait été conçue dans un sens pacifique.
S.M. George V, roi d'Angleterre, a fait écrire par son ambassadeur à M. Saint-Pol Roux, pour lui témoigner sa joie personnelle de voir commémorer la journée historique du 18 juin 1694.
Les régates s’achevèrent par la récitation de poèmes, écrits pour l’occasion, par Saint-Pol-Roux, Jeanne Perdriel-Vaissière et Cœcilian, le fils aîné du Magnifique. Ces textes d’Hommage à la Victoire furent publiés en plaquette par la Dépêche de Brest.

Les premières années de Saint-Pol-Roux à Camaret furent donc actives et heureuses, les habitants bénéficiant de sa générosité personnelle et de celle, pudique, d’Antoine. Mais la guerre allait enténébrer ce bonheur, tout en renforçant l’amitié entre le directeur de théâtre et le poète.
(A suivre)

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